Lluïsa, la Princesse de verre

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Vanity Fair n°40 – octobre 2016

 
Les pères ont peur pour leurs filles car ils craignent sans le dire – sans oser se l’avouer aussi ? – qu’elles n’échapperont pas dans ce monde à l’esprit sordide, à être soit l’épouse, soit la putain d’un homme – ou en passe de devenir l’une ou l’autre, et vite !*
Ces pères inconsistants et fourbes veulent être prévenants, ils se mentent. Par lâcheté ils considèrent leurs délicieuses progénitures définitivement faibles. Dans un hypocrite et orgueilleux sursaut ils se posent en ultime rempart. Tel le Prince Juli de Palauenc de La Jonquera qui dans des temps pas si éloignés de notre ère chrétienne, en son domaine de Villeclare, interdit à sa fille la pratique du cheval.

La belle et intrépide Princesse Lluïsa ne l’entendait pas de la sorte et n’en fit qu’à sa tête. Elle aimait chevaucher à travers sa campagne catalane et rivaliser avec les autres cavaliers. Elle voulait affronter l’adversité, gouter aux sensations, aux trépidations interdites à son sexe, sauter les barrières, arriver la première, partager l’enthousiasme d’une cavalcade, sentir la respiration de l’animal, et surtout, surtout faire corps avec sa monture pour franchir tous les obstacles. Etre un humain comme les autres et profiter des joies que la nature lui offre. Elle avait du talent, beaucoup de talents et d’amour pour les chevaux.

Son père lui construisit un palais de verre pour l’y enfermer et la surveiller aisément. Elle usa de tous les stratagèmes pour s’échapper sans qu’il ne s’en aperçoive. Jusqu’à s’éclipser la nuit pour parcourir les chemins aux seules lueurs de la lune.

Bien renseigné, comme tout prince en son pays, son père apprenait en décalage les frasques équestres de sa fille. Vieillissant et bien inspiré, de guerre lasse, comprenant que la volonté de Lluïsa était plus forte que tous les interdits, il remit en cause ses truismes de vieux patriarche buté, il fit détruire le palais pour le fondre en une statue équestre. Il rendit à sa fille sa liberté et édifia un nouveau monument.

Encore aujourd’hui vous pouvez voir au centre du village de Palau del Vidre (Palais de Verre en catalan) une magnifique statue dédiée à sa fille représentant une belle amazone sur son cheval de verre.

*d’après Le Monde selon Garp – John IRVING.

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