HOTEL PARTICULIER

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Vanity Fair n° 25 – juillet 2015

Avant de lui succomber Ana avait bien réfléchit. Elle s’abandonnerait à Omar à deux conditions : qu’il ne la demande jamais en mariage et qu’il lui offre une maison assez grande pour pouvoir le recevoir dignement quand il manifestera son désir de lui rendre visite. Ah oui ! autre détail : elle ne voulait surtout ne jamais entendre parler d’enfants. Là, où pour la plupart des couples l’engagement réciproque apporte stabilité affective et tremplin pour les projets d’enfants, Ana portait en elle une autre ambition : elle voulait vivre libre bien décidée dans ce monde à l’esprit sordide à n’être ni l’épouse, ni la putain d’un homme et à jamais ne devenir ni l’une ou l’autre *. Omar était un riche égyptien, il suivait le souffle de ses affaires, manifestait à sa patrie un attachement sans faille et s’en remettait à la volonté de Dieu pour guider sa vie. Son esprit fut piqué et intrigué par les exigences d’Ana. Plus qu’une simple coquetterie féminine il trouva dans l’allure de sa belle andalouse un défi troublant prompt à ragaillardir son affect de mâle conquérant et sa vie d’entrepreneur débonnaire.
Il lui offrit un grand domaine, au Sud de nulle part – pas loin d’un aéroport international et d’une route carrossable. Ana y créa un hôtel magnifique hors du temps, un cocon pour recevoir les amoureux du monde entier avec discrétion et raffinement. Elle ne courut jamais après son prince charmant, c’est lui qui vint rendre visite à sa directrice générale, son ‘’Caudillo’’ comme il aimait l’appeler. Avec le temps, elle se résigna de bonne grâce à voir plus souvent les membres de son conseil d’administration que son généreux président dont elle finit par prendre le fauteuil.
Elle aurait pu vivre dans ce paradis et mourir comme une reine qui s’endort sur ses songes. Hélas, un reportage télévisuel ventant les mérites de l’hôtel rappela à l’un des fils de l’ancien propriétaire l’existence des terres familiales. Après quelques recherches, il s’aperçut qu’Omar n’avait jamais finalisé la transaction d’acquisition du domaine. Il fit parvenir les revendications de sa famille et obligea Ana à partir et à ne jamais revenir.
Ana s’était toujours méfiée des enfants, son aversion était prémonitoire.
Sur sa tombe elle veut que l’on grave : « Salauds de gosses ».

* John IRVING « Le monde selon Garp ».

ETRE UN AUTRE

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Vanity Fair n° 24 – juin 2015

Devant la porte de son cabinet, le professeur Malaparte est fébrile. Avec quelques outils il entend fixer lui-même sa nouvelle plaque professionnelle sur laquelle on peut lire :
« Yvan MALAPARTE, docteur en psychologie et théâtre ».
Après quinze années de pratiques psychanalytiques, ayant constaté les limites des thérapies traditionnelles et voulant aussi dénoncer le comportement complaisant de confrères peu scrupuleux à reconduire éternellement les séances , le professeur a mis au point une nouvelle méthode. C’est un de ses patients qui lui a donné l’idée de privilégier la théâtralisation de l’existence plutôt que son intériorisation. Il souffrait d’une timidité maladive. Malgré un travail classique et rigoureux, des prises de conscience prégnantes et une mise à plat, sinon un démêlage complet des liens avec ses parents, rien ne semblait améliorer sa relation avec le monde extérieur. Il lui proposa de l’accompagner à jouer des rôles qu’ils composèrent ensemble. Pour cela ils se virent deux à trois fois par semaine pendant six mois. Soulagé de ne plus centrer exclusivement sur lui la conversation, le patient s’ouvrit à critiquer les situations dans lesquelles il se plongeait délibérément et, petit à petit se libéra de sa pathologie.
La méthode est une sorte de complexe du castor produit et contrôlé par le médecin où le patient se transforme en sa propre marionnette ; il devient l’acteur de ses maux intimes et grâce à la distance que lui apporte le jeu et aux nombreuses mises au point, il en accepte l’analyse. Avec une autre personne qui avait du mal à s’exprimer, il lui proposa de chanter et de préparer une sorte de mini tour de chant. Chaque individu devient actif et réactif, le temps de la guérison se raccourcit. Plutôt que de disposer de ses patients comme de pantins, le professeur imagine avec eux de rédempteurs personnages. On passe d’une théorie freudienne vieillissante à un concept novateur et enthousiaste.
Seul sur son palier, maintenant depuis plusieurs minutes, le docteur se gratte la tête sans savoir comment procéder à la pose de sa nouvelle plaque. Il se prenait pour un Castor Junior habile des ses mains ; il se résout à faire appel aux services d’un professionnel.
Pas facile d’être un autre !

Tour de Malice

Paris Tour Eiffel retour Paul Almasy

J’éprouve une réelle fascination et attirance pour les propos opposés et tranchants concernant les avis sur des objets dont on se dispute le bien fondé sinon la beauté. Tout le monde a raison, tout le monde a tord. Du côté des pour comme des contres, les arguments et les légitimités sont imparables et pourtant…
Rien ne change aujourd’hui, à propos de la Tour Triangle, de la réhabilitation de la Samaritaine, etc. : on se dispute encore et toujours pour imposer une façon de voir des choses qu’on a jamais vues…

Ici retranscrit la pétition contre l’érection de la Tour Eiffel en 1889 :

« Nous venons, sculpteurs, architectes, peintres, amateurs passionnées de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toutes notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse Tout Eiffel. La ville de Paris va-t-elle s’associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d’un constructeur de machines, pour se déshonorer et s’enlaidir irréparablement ? Car la Tour Eiffel, dont la commerciale Amérique elle même ne voudrait pas, c’est, n’en doutez pas, le déshonneur de Paris. Chacun le sent, chacun le dit, chacun s’en afflige profondément, et nous ne sommes qu’un faible écho de l’opinion universelle, si légitimement alarmée. Enfin, lorsque les étrangers viendront visiter notre Exposition, ils s’écrieront, étonnés : ‘’Quoi ? C’est cette horreur que les Français ont trouvée pour nous donner une idée de leur goût si fort vanté ?’’ Ils auront raison de se moquer de nous, parce que le Paris des gothiques sublimes, le Paris de Puget, de Germain Pilon, de Jean Goujon, de Barye, etc., sera devenu le Paris de Monsieur Eiffel. »

Le Temps, 14 février 1887

Extrait de la « Protestation des artistes » signée entre autres par Ernest Meissonier, Charles Gounod, Charles Garnier, William Bouguereau, Alexandre Dumas fils, François Coppée, Leconte de Lisle, Sully Prudhomme et Guy de Maupassant.

Poussières de paradis

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Vanity Fair n° 23 – mai 2015

Affirmer bien vivre me paraît une déclaration présomptueuse et stupide, une vaine proclamation sur l’existence qui dénoncerait l’insouciance béate ou masquerait la désespérance sournoise de son annonceur. La vie est moche comme une sardine mais elle est bonne pour la santé ! Il arrive à tout être doué un tant soit peu d’intelligence et de sensibilité de se sentir malheureux parfois. Sans en faire une profession de foi, taire sa tristesse est malhonnête, et mettre ostentatoirement son bien être en avant, indélicat et superficiel. J’aimerai être un simple d’esprit pour percevoir la vie avec assez de légèreté et, me sentant bien heureux le déclarer en toute liberté. Las, je ne le suis pas. Cynique et dépressif non plus. Un brin désabusé et mélancolique, je trimballe ma carcasse sur les chemins avec le regard de l’optimiste devenu pessimiste à force de constatations désastreuses. J’adapte ma trajectoire au gré des circonstances et des reliefs, m’efforçant de vivre dans un même élan de générosité la joie des ascensions ainsi que la désillusion des dégringolades. Jamais je ne me plaindrai de la vie, jamais je ne m’extasierai de manière définitive non plus. J’ambitionne de mourir heureux. A cinquante ans, je viens de passer un deal avec les Hells Angels de mon quartier de Joufflard-en-Bouzy. Nous nous sommes mis d’accord afin qu’à l’horizon de mes 80 ans ils m’aident à devenir immoral et joyeux. Notre contrat est oral, il les engage dès maintenant à me fournir, dès le premier appel de ma part, en ‘’poussière de paradis’’, un panaché de produits me permettant de me lâcher enfin jusqu’à mourir dignement sans importuner mes proches par un état de santé inconfortable et dégradant. J’espère ainsi expérimenter un protocole, élaboré très en amont, pour une belle fin de vie tonitruante. L’important n’étant pas pour moi de durer, comme certains l’ambitionnent, mais bien de conclure mon passage sur terre de la plus belle des manières, en bonne santé ! et des rêves plein la tête.

Charles BUKOWSKI

Charles BUKOWSKI

 » Comment diable un homme peut-il se réjouir d’être réveillé à 6h30 du matin par une alarme, bondir hors de son lit, avaler sans plaisir une tartine, chier, pisser, se brosser les dents et les cheveux, se débattre dans le trafic pour trouver une place, où essentiellement il produit du fric pour quelqu’un d’autre, qui en plus lui demande d’être reconnaissant pour cette opportunité ?  »

Contes de la Folie Ordinaire (Tales of ordinary madness) traduit de l’américain par Léon Marcadet

Rudy RICCIOTTI

Riccioti

Traitement architectural brut, propos de soi piratés.
Rudy Ricciotti, extraits mai 2006.
«… Je n’aime pas la modestie, je trouve cela extrêmement vaniteux. Je n’aime pas la distance, je trouve cela présomptueux…il y a de la lâcheté dans la distance…
Le thème de l’humilité, en soi, m’indispose ; je trouve cela extrêmement obséquieux, très très prétentieux…
Pour survivre, il faut de l’ironie, de l’ironie sur soi-même aussi… »

Le bar des Batignolles

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Vanity Fair n° 22 – avril 2015

Non, je n’ai jamais rêvé d’être l’héritier d’un quelconque consortium industriel, trop certain qu’avec trop de propriété commencent les ennuis… Petit garçon mon idéal consistait, bien entendu, à vouloir ce que je n’avais pas. Non content d’habiter un appartement dans les beaux quartiers assez grand pour y apprendre à faire de la bicyclette – j’ai ainsi pu frimer devant les copains en pédalant très vite sur les trottoirs sans être équipé de petites roues ridicules et humiliantes – j’aurai voulu que mes parents possèdent un Bar-Restaurant pour vivre au-dessus (de nos moyens !). L’idée a sans doute germé au moment où ma sœur, mes parents et moi avons pris tous nos repas au bistrot du coin le temps que notre cuisine soit entièrement refaite. Jamais les croissants et le chocolat chaud ne me parurent aussi bons. J’ai construit à partir de cette heureuse expérience un lieu de vie idéal dans lequel je me voyais évoluer sans me soucier des années :
« Je suis fils unique, tous les matins je prends mon petit-déj’ au bar. Mon père ressemble à Jean YANNE, ma mère à Brigitte BARDOT. Notre berger allemand est une femelle, elle s’appelle Stella et veille sur moi. Papa est toute la journée derrière son bar. Maman porte de jolies robes à carreaux vichy. Les affaires tournent bien, cela me rassure. Je déjeune à la cantine car à midi Maman aide Papa en salle et elle n’a pas le temps de bien s’occuper de moi. Quand je rentre après les cours le truc que je trouve le plus génial au monde est de passer par le restaurant pour rejoindre l’appartement. J’embrasse Papa, les habitués me saluent et je monte chez moi par une porte dérobée dissimulée dans un mur de la salle du 1er étage. Parfois, je surprends amusé des amants qui s’embrassent. C’est ça la vie ! Je sais que cela va m’enchanter, plus tard. Arrivé au 2e étage en haut de mes volées d’escalier, je suis bien, au calme, à l’abri du tumulte.
Aux yeux de mes copains que j’invite à mes anniversaires – avec limonade à volonté – je suis le garçon le plus chanceux de l’école. « I agree » comme on dit en Amérique. Ils ne connaissent pas le passage secret car nous ne privatisons pour eux que la salle du 1er. Je tiens à mon domaine exclusif et réservé.
J’ai 7 ans en 1968 et, plus tard, ça y est c’est décidé, je veux être François TRUFFAUT.
God save Les Batignolles ! »

Le Vol du Poisson Rouge

Vol du Poisson Rouge

Je vole comme un poisson rouge.
J’ai mis un masque et des gants blancs pour ne pas me faire remarquer…
« Tour de contrôle à Poisson Rouge : y-a-t’il de l’eau dans le bocal ?
Préparez-vous à sortir les plongeoirs et aussi les amuse-gueules.
Préparez mon grand peignoir, je ne suis pas seul. »
… Prétextant une poussière, je vais me rincer l’œil. Je glisse profiter des courants d’eau entre les jambes d’une belle sirène.
Elle rêve d’une île, je garde mes ailes.
Ensemble nous nous envoyons en l’air et rebondissons au-delà des océans vagues.
Nous nous moquons de l’apesanteur des jours.

QUI M’AIME ME SUIVE

Miss you

J’aime. Je ne sais pas désaimer. Je ne sais même pas ce que cela veut dire. Quand je suis séduit c’est pour la vie. Je ne suis pas fidèle, je suis fataliste. J’essaye de faire les choses, j’économise mon énergie à les entretenir, les déconstruire me désespérerais, les voir s’abimer m’attriste. Par lâcheté je peux m’éloigner, mais je reste attaché aux gens que j’ai aimés, je garde toujours à l’esprit un lien discret et ténu. Je ne sais pas me fâcher. Je vois dans la fâcherie une illusion d’amnésie volontaire à laquelle je ne veux apporter aucun crédit. Je n’oublie pas les gens que j’aime. Ils sont avec moi à chaque instant de ma vie ; pas toujours là à porter mon sac de victuailles, mais présents dans mon esprit et dans mon cœur avec la douce énergie qu’apporte la camaraderie éternelle. Je ne conçois pas qu’on puisse se tromper en amour ni ne plus aimer quelqu’un qu’on a chéri ou alors c’est que l’on ne s’aime pas soit même.

Mais enfin Ubarius, tous ces gens qui se séparent c’est bien qu’ils ne s’aiment plus ? Non, je pense qu’ils vivent sous l’influence de la publicité des sentiments, effrayés par l’héroïsme d’aimer vraiment. Car aimer est héroïque. C’est un exploit que de grandir en aimant et en se rapprochant des autres avec de délicates, généreuses et sincères attentions.

L’amour raté c’est le sentiment d’infini offert à des caniches, l’amour réussi est une œuvre d’art. A tout considérer c’est la meilleure chose à tenter en ce bas monde. Et nous sommes nombreux, dans ce beau destin, à n’être que des bricolos…

Vagabond pour l'instant