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TCHIN-TCHIN BROTHERS

Vanity 32_fev16
Vanity Fair n° 32 – février 2016

Avant de se diriger vers le bar du Raphaël, Paul trépigne devant l’entrée de l’hôtel ; il guette l’arrivée de son frère Xavier qui comme d’habitude se fait attendre – cela fait 70 ans que ça dure ! Il bavardait avec le chasseur du palace quand il aperçoit la limousine de son aîné avancer silencieusement vers eux ; écartant le voiturier il monte à bord et dirige son frère jusqu’à la place qu’il a bloquée avec sa propre voiture – une luxueuse sportive de marque italienne.

Ils sortent d’un rendez-vous chez le notaire à propos de la succession de leur père, et ils veulent se retrouver dans un endroit tranquille afin de faire un point sur leur situation familiale. Sauf à lire leurs états civils, rien n’attesterait de leur filiation. Les deux frères ne se ressemblent pas. Le puîné est nerveux et sec tandis que l’aîné est jovial et enrobé. Paul est toujours pressé. Il a embrassé très tôt le succès en devenant l’impresario et producteur d’une star de la chanson française. Xavier a toujours pris son temps en développant son commerce de cordonnerie et en acquérant au fur et à mesure les emplacements où il installait ses boutiques. Après près de cinquante ans de vie active, ils sont arrivés tous les deux à un même niveau de fortune.

Assis dans le velours rouge des fauteuils d’un autre temps de ce bar sans âge (1925), l’un face à l’autre, ils sirotent leur boisson alcoolisée favorite et croisent leurs vies. Lequel des deux a eu le plus beau parcours ? Celui qui est parti sur les chapeaux de roues et n’a cessé de côtoyer les sommets, quitte à s’épuiser parfois et à toujours rebondir, ou bien le paisible et laborieux boutiquier qui égraina les heures de travail avec le sentiment du travail bien fait et sereinement accompli ? Ils ne vont pas se battre pour savoir lequel des deux a le mieux conduit sa vie ; leurs amours cabossées, leurs enfants envolés, leurs comptes en banque bien dotés… Ils ouvrent pour la première fois leurs ‘’coffres-fors-intérieurs’’ et s’interrogent sur la meilleure façon, non pas de transmettre à leurs enfants leur patrimoine financier mais la part, qu’ils tentent de cerner, de leur réussite humaine. On peut disserter indéfiniment sur le bonheur de vivre, mais ils ne vont pas réussir en une soirée à faire le tour de la question. Le bonheur ne se décrète pas, il ne se transmet pas en héritage non plus. Subissant avec âpreté le vide que laisse leur père mort, ils font le serment mutuel de combler la distance que les mouvements égoïstes et non réfléchis de leurs vies ont généré entre eux, leurs enfants et petits enfants. Ce soir ils ressentent le besoin de revitaliser leur tissu familial en passant du temps ensemble – tout simplement ! Ce qu’ils veulent valoriser c’est le vivant, pas la mort.

Une fois la réanimation de leur existence réalisée, ils se disent qu’ils pourront mourir heureux.

Tchin-tchin Brothers !