Poussières de paradis

Vanity 23_mai15
Vanity Fair n° 23 – mai 2015

Affirmer bien vivre me paraît une déclaration présomptueuse et stupide, une vaine proclamation sur l’existence qui dénoncerait l’insouciance béate ou masquerait la désespérance sournoise de son annonceur. La vie est moche comme une sardine mais elle est bonne pour la santé ! Il arrive à tout être doué un tant soit peu d’intelligence et de sensibilité de se sentir malheureux parfois. Sans en faire une profession de foi, taire sa tristesse est malhonnête, et mettre ostentatoirement son bien être en avant, indélicat et superficiel. J’aimerai être un simple d’esprit pour percevoir la vie avec assez de légèreté et, me sentant bien heureux le déclarer en toute liberté. Las, je ne le suis pas. Cynique et dépressif non plus. Un brin désabusé et mélancolique, je trimballe ma carcasse sur les chemins avec le regard de l’optimiste devenu pessimiste à force de constatations désastreuses. J’adapte ma trajectoire au gré des circonstances et des reliefs, m’efforçant de vivre dans un même élan de générosité la joie des ascensions ainsi que la désillusion des dégringolades. Jamais je ne me plaindrai de la vie, jamais je ne m’extasierai de manière définitive non plus. J’ambitionne de mourir heureux. A cinquante ans, je viens de passer un deal avec les Hells Angels de mon quartier de Joufflard-en-Bouzy. Nous nous sommes mis d’accord afin qu’à l’horizon de mes 80 ans ils m’aident à devenir immoral et joyeux. Notre contrat est oral, il les engage dès maintenant à me fournir, dès le premier appel de ma part, en ‘’poussière de paradis’’, un panaché de produits me permettant de me lâcher enfin jusqu’à mourir dignement sans importuner mes proches par un état de santé inconfortable et dégradant. J’espère ainsi expérimenter un protocole, élaboré très en amont, pour une belle fin de vie tonitruante. L’important n’étant pas pour moi de durer, comme certains l’ambitionnent, mais bien de conclure mon passage sur terre de la plus belle des manières, en bonne santé ! et des rêves plein la tête.

Laisser un commentaire