Archives par mot-clé : amour

Lettre à ma fille amoureuse

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Vanity Fair n° 34 – avril 2016

Adélaïde, ma fille, je suis le père le plus heureux du monde. Avec toi et tes deux frères, je savoure chaque jour l’amour qui nous transporte de génération en génération, régénère et entretient notre instinct de vivre. Le terrien n’aime d’Amour que ses parents et ses enfants, parfois le Bon Dieu – mais je n’ai, hélas, pas cette grâce ; le reste est du domaine du désir sexuel et de l’attachement, non de l’Amour avec un grand ‘’A’’ !
C’est pourtant ce reliquat, ces amours avec un petit ‘’a’’, qui vont occuper le plus clair de ton temps. Tu oublieras l’acquis pour partir vers d’autres préoccupations amoureuses. Et tu auras raison. Nous l’avons tous fait. Ce mouvement vers les autres ne doit pas être négligé, tu dois le cultiver et l’entretenir avec force et inspiration. L’être humain ne peut pas vivre sans aventures affectives et douceurs charnelles. Tu apprécieras le temps qui passe et apprendras à peaufiner le calendrier de tes rencontres.
Ta mère t’a donné la vie. Pas moi ! Je suis ton papa d’âme.
Tu es ma fille unique. Je te souhaite de devenir une femme heureuse et épanouie. Je m’inquiète de ton bonheur. Cette inquiétude n’est pas un souci pour moi, c’est un souffle, une force, une inspiration à aimer la vie davantage chaque jour. Je veux t’aider à trouver ta place dans le monde. Je ne sais pas si le Prince Charmant existe, je ne te le promets pas ! Avec l’éducation et la sensibilité que nous partageons, je suis assuré que tu sauras faire venir à toi des garçons galants et délicats ayant le sens de la pudeur et que tu sauras éviter les goujats et autres prédateurs. Je veux que tu sois bien dans ta peau et t’invite à mener ta vie comme tu l’entends. Le jour où tu m’annonceras tes fiançailles je t’emmènerai découvrir la passerelle du château du roi Arthur en Cornouailles. Comme deux mains tendues au-dessus du vide les deux porte-à-faux indépendants de l’ouvrage se rejoignent au milieu sans se toucher, ou presque…
Passerelle Tintagel 2Je crois en la différence et dans la complémentarité des êtres. Je crois en la tendresse créative et dans l’infini beauté des amoureux, je crois en toi.

La seule chose que je te demande, oh ma fille, est de ne jamais tomber amoureuse d’un producteur hollywoodien !

Lettre d’Amour

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Vanity Fair n° 17 – novembre 2014

Lilly Chou, je veux réparer une injustice. Sur le chemin de notre vie je veux t’écrire aujourd’hui ma première lettre d’amour. Voilà plus de trente ans que nous marchons ensemble, l’un à côté de l’autre, toujours. Mais jamais avec un mot écrit. Des mots intemporels pour nous accompagner dans la danse des jours. Moi qui ai le porte-plume planté au corps et au cœur, je n’ai jamais pris le recul nécessaire pour dessiner les idées qui nous rapprochent et qui nous lient. Alors que je m’adresse à toi j’ai l’impression de t’écrire au pluriel : à peine crois-je te cerner que tu es déjà devenue quelqu’un d’autre. J’écris à l’amante, je vois la maitresse de maison qui me regardait hier soir attendant son compliment après l’excellent diner servi à nos invités ; je m’adresse à la jeune fille légère et c’est la femme conquérante qui me renvoie à mes responsabilités… Pour rester jeune il faut vivre vieux. Pour connaître le sentiment amoureux dans sa belle diversité tu me fais découvrir qu’il faut cultiver la longévité et son agrément : la patience. Saltimbanque de l’affection je t’avoue grandir chaque jour à tes côtés, mais tu le sais déjà. Les femmes font les écervelées pour laisser croire aux hommes qu’ils sont supérieurs. Dans ce jeu d’ombres et de lumières, j’opterai pour paraître avec toi dans un faisceau tamisé. Avec à tour de rôles, en vedettes, chacune de nos importances singulières et de nos priorités communes : l’épanouissement de nos enfants, certes, mais aussi de nos deux personnalités complices. Ensemble nous avons le talent de nous bonifier l’un l’autre. Le temps rapproche les êtres sages. Il y a des amours heureuses. Le choix de nous marier ne nous appartient plus. Nous étions désireux de nous découvrir et rêvions de fonder une famille. Le pari est réussi. L’homme qui est dans ton lit n’a plus vingt ans depuis longtemps et, il te sourit de toutes ses dents. Quand la jeunesse appelait le désir et son contentement rapide, l’âge mûr se nourrit lui, sans jamais se résigner, d’étonnements et de sérénité. L’amour est une dépression heureuse, une conjugaison médicamenteuse du verbe aimer, sans ordonnance ; avec prudence, en ta présence, j’en inhale le piment et la douceur.

Il n’y a pas de femme ni d’homme idéal, avec toi, juste la merveilleuse réussite d’une rencontre inspirée, reconduite et encouragée tout le temps de notre vie. Tu es la preuve par l’envie que deux droites parallèles peuvent un jour se croiser pour tricoter (fricoter) ensemble des jours savoureux.

Lilly Chou, tu es mon souffle bonheur.

Ménage à trois

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Vanity Fair n° 16 – octobre 2014

Julia et moi, nous nous sommes quittés ce matin un brin contrariés. Parfois l’on s’énerve l’un contre l’autre alors que nous nous avouons bien volontiers de pas pouvoir dormir l’un sans l’autre.

Ce soir quand je rentre, elle est déjà couchée ; elle a laissé un mot sur la table du salon : « Mon Chéri, je n’ai pas que toi dans ma vie… (Je le sais hélas !) Je t’aime au quotidien mais il va falloir que tu t’accroches si tu veux continuer à vivre avec moi et mon sale caractère. Mon corps te réclame, mais ton amour exclusif me contraint, la flamme qui brule entre nous deux me brule, m’étouffe. J’ai besoin de respiration. Tu n’es pas le seul homme de ma vie. Accepte-le, ne sois pas jaloux ! Sans te perdre j’ai aussi besoin de vivre avec la présence sublimée et innocente de mon grand-père à mes côtés. Il m’aide à rendre l’espoir toujours possible et le doute superficiel. Tout le monde l’admirait et l’aimait. Il était génial. Les femmes l’adoraient. Il ne fâchait ni ne froissait jamais personne, il traçait sa route, déterminé et nonchalant. Par sa simple présence il émerveillait le monde. Il avait la grâce et la distinction de ne jamais laisser paraître la charge de travail et des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Il était solaire et léger, un astre créatif et merveilleux. J’étais sa petite fille préférée – en tous cas, il avait le talent de me le laisser croire. Il m’irradiait de sa tendresse et de sa bienveillance sans jamais me considérer comme une enfant, ni comme une adulte d’ailleurs. Là s’exprimait toute sa science de l’humain. Sans lui, je ne serai pas là…»

Je me remémore l’anecdote génératrice de la carrière de Julia, un jour où elle était triste, son grand-père Achille l’invita à la suivre dans son bureau et l’installa à une table à dessin avec du papier et des crayons de couleur. « Pleure si tu veux, dessine si tu peux ! » D’une larme tombée de sa joue sur la feuille, elle fit une goutte-de-pluie-boucle-d’oreille à laquelle elle enjoignit un sourire. De ce dessin d’enfant, son grand-père fit l’emblème de sa maison de couture et lança un département de joaillerie qu’elle dirige aujourd’hui.

Je ne veux ni arrêter son rêve d’enfant ni interrompre la belle aventure familiale, je dois juste fermer mes oreilles quand elle me rabâche « Mon Grand-Père-Ceci, mon Grand-Père-Cela ».

Avant de la rejoindre dans notre lit, je lui écris à mon tour un petit mot qu’elle lira demain matin : « Chérie, j’aime beaucoup ton grand père, surtout quand tu adoptes son ancienne manie de prendre des ‘’bains d’air’’ et de te balader toute nue dans la maison. J’ai décidé de regarder la vie du bon côté. Avec toi ! »

Rue Barbey de Jouy

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Vanity Fair n° 8 – février 2014

Mauvais début de semaine, un appel de l’inspecteur Nestor D. insistant dès 7h30 du matin pour que je me rende avant la fin du jour à son commissariat. De quoi s’agit-il ? Les flics ont des idées préconçues sur ce qu’ils veulent vous entendre dire. Ils s’adressent à vous par ellipses insupportables qui vous culpabilisent d’entrée de jeux. Y-a-t-il une plainte contre moi ? Mon fixie (vélo urbain à pignon fixe) a-t-il été volé ? Il ne s’agit nullement de cela… L’inspecteur revêche insiste ; je résiste. Sans motif officiel je refuse de répondre à son invitation. Vous connaissez Mademoiselle Clara Arawah ? concède-t-il enfin. Bien sûr que je connais cette célèbre et toujours belle actrice. Je me cantonne à une banale et évanescente exclamation mais le trouble commence à m’envahir. Si je demeurais encore marqué par quelques plis de sommeil me voilà tendu comme un drap parfaitement repassé. L’inspecteur entend-il au bout du fil l’emballement de mon rythme cardiaque qui accompagne l’évocation du nom de Clara ? Je n’ai plus de ses nouvelles depuis dix ans mais je demeure sensible et attentif à sa carrière. Il ajoute sans vouloir paraitre narquois mais non sans une once de condescendance bien trempée qu’il serait bien que je passe le voir.

Seules la vocation ou la nécessité peuvent vous obliger à fréquenter les commissariats de police. Je n’ai ni l’une ni l’autre. Et pourtant je me rends intrigué et inquiet à la convocation lancée par l’inspecteur. Les présentations sont simples mais durent une éternité, un round d’observation pendant lequel il m’interroge du regard alors que je tente de paraitre à l’aise.

«Monsieur, nous avons retrouvé Clara Arawah morte cette nuit à son domicile de la rue Barbet de Jouy». La phrase est partie sans que je m’y attende, je me décompose sur le champ. Je bafouille. J’ai envie de l’étrangler. Pourquoi m’a-t-il fait venir pour m’annoncer cela ? Je suis perdu, incrédule ; j’envisageais un jour de revenir vers Clara, pour reparler de nous, de notre histoire d’amour quand nous avions vingt-cinq ans, quand sa célébrité m’amusait et me faisait rêver alors qu’elle glissait sans que je l’accepte, ou veuille le voir, de l’autre côté du miroir,  irrémédiablement grisée par les propositions mirobolantes et les euphorisants. En la quittant j’ai gagné en liberté mais perdu en candeur. Je suis là désabusé et dévasté face à ce flic sans forme, sans passé et sans avenir ; je suis dans le fond carrelé d’une piscine sans eau sans pouvoir atteindre les échelles de remontée. Je ne crie pas au-secours, je me noie.

Après avoir vérifié mon téléphone mobile l’inspecteur m’apprend que derrière l’appel masqué de samedi après-midi se cachait Clara ; ce fut son dernier appel. Sa folle vie m’avait détourné des histoires d’amour passionnées, l’annonce de sa mort me plonge dans un désarroi sans bornes mais je me maudis de n’avoir pas décroché samedi, fidèle à mon sacrosaint principe de ne jamais répondre aux appels non identifiés. Ce ratage me pulvérise dans un abime de culpabilité et de frustrations. Je m’étais habitué à la savoir à distance, douloureuse certes, mais avec sa présence dans l’actualité je gardais l’espoir de la retrouver un jour. Le plus difficile n’est pas de mourir mais de survivre ; l’insupportable demeure d’avoir manqué à jamais le dernier rendez-vous sans savoir s’il s’agissait ou pas d’une intention volontaire ou bien d’une avant-dernière maladresse. Je n’ai que le regret et l’incertitude pour me consoler.

Je n’ai pas su la garder auprès de moi, la sauver. Je suis un lâche, idéaliste et paresseux. Mon père avait raison quand il m’enjoignait de ne jamais tomber amoureux d’une actrice, ou sinon de lui offrir un beau mariage…