Archives de catégorie : Ubarius, un brin rêveur avec Vanity Fair

Je partage avec vous le voyage que je fais chaque mois en lisant Vanity Fair.

ARCHIMÈDE et GRAZIELLA

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Vanity Fair n° 43 – février 2017

Veuf depuis des années, c’est un Archimède désabusé que les voisins croisaient dans les rues du quartier. Depuis quelques jours son pas a changé, son regard brille d’une lueur amusée. Il est amoureux. Il ne doute pas, il ne fanfaronne pas non plus. Il avance serein et souriant en respirant l’air à pleins poumons.

Découverte puis observée discrètement dans la file d’attente de la boulangerie où il se rend quotidiennement, la jolie femme qui lui redonna du souffle s’appelle Graziella, elle a 40 ans et est divorcée.

Son premier regard fut attiré par l’ondulation chatoyante de ses cheveux parfaitement coupés dans lesquels il a vite eu envie de glisser ses doigts. Au delà de son visage attrayant et de sa belle personne, la manière souveraine de Graziella d’attendre dans la file, délicate et attentive – jamais ennuyée – l’intrigua, puis l’attira vers elle irrésistiblement. Elle aussi avait repéré ce monsieur très digne d’un certain âge ; elle imaginait un ambassadeur à la retraite. Ils se répondaient par un sourire courtois quand leurs regards se croisaient, mais cela n’allait pas plus loin.

Dans leurs esprits les projets et hypothèses de se rapprocher bouillonnaient. Les corps, eux, restaient impassibles et sinistrement raisonnables. Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ? Le corps exprimant des besoins naturels que l’esprit s’ingénue à contrarier sans cesse.

Archimède n’a plus la force de courir après les gazelles, il déguste son engouement et retarde le plus possible l’instant où il se dirige vers Graziella pour rompre définitivement la distance. Graziella espérait qu’il l’invite à faire plus ample connaissance. Elle souhaitait mettre fin au trouble tout en ne souhaitant pas précipiter les choses, trop consciente de la saveur qui réside dans la tension du désir que génère l’attente.

L’extravagance silencieuse de certains vieux est de renoncer à toute nouvelle histoire d’amour ; Archimède distille et déguste la promesse que la providence lui tend, il doute aussi. Tout bascule le jour où apercevant Graziella prendre place dans la file loin derrière lui, il décida d’aller lui parler. Il acheta pour elle le pain de seigle coupé en tranches ‘’pas trop fines’’ comme elle a l’habitude de commander et vint la rejoindre :

− Vous n’aurez pas à attendre cette fois. Lui dit-il en lui offrant son pain.
− Oh ! et si aujourd’hui je voulais une baguette tradition, comme vous ?
− Je vous proposerai de l’échanger et chacun repartira de son côté avec la part de l’autre pour lui tenir compagnie. Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ?
− Je préfère que vous deviniez…!

L’humeur se veut badine et pourtant l’heure est grave.

L’un et l’autre entretiennent un sentiment d’urgence. Ils ont besoin d’aimer, ils le savent. La solitude les écrase. Mais jouer à faire semblant et dissimuler ses envies sont une pathologie autant qu’un art du comportement humain. Ils se plaisent, aucun obstacle majeur ne les empêche de se prendre la main, chacun à sa manière est libéré de tout engagement. Derrière la minauderie de Graziella et la galanterie d’Archimède se cachent leurs dernières réticences à se lancer dans une nouvelle aventure. Ils devinrent amants après plusieurs entrechats mondains et fous rires coquins.

Ils dinent chez l’un et dorment chez l’autre. Dans la journée c’est quartier libre. Chacun vaque à ses occupations. Des week-ends en bord de mer, des séjours à la montagne agrémentent leur complicité. L’achat d’un appartement en commun scella leur union. La maturité et la différence d’âge apportent au couple tranquillité et apaisement. La violence s’est éloignée du corps du vieil homme ; dans un même mouvement de sérénité la femme mature exprime plus clairement ses insatisfactions afin de les combler. Tous deux s’entendent et s’écoutent. Ils vivent leurs envies. Graziella est heureuse car elle sait qu’elle existe dans le cœur de l’homme qu’elle aime. Au pays des amoureux tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté (Baudelaire). Cependant, après plusieurs mois, une chose chagrine Archimède. Il s’étonne que Graziella ne lui ait jamais parlé d’avoir un enfant. Il feint d’aborder innocemment ce sujet d’une gravité merveilleuse : entre deux personnes qui s’aiment n’y a-t-il pas l’esquisse d’un enfant à naitre ? La réponse de Graziella le rassure et l’inquiète : elle est bien demandeuse…mais elle souhaite avoir deux enfants avec lui ! Le poids des ans et des préjugés pèsent sur leur conversation.

Les copains d’Archimède lui disent qu’il est fou, qu’il ne se rend pas compte des corvées d’un futur jeune papa. Il n’aura plus un moment à lui ! Il rétorque qu’il sera à la fois père à mi-temps, car lui et Graziella se feront beaucoup aider, et grand-père à plein temps pour profiter à fond de ce bonheur tardif. Il le pense mais ne le dit pas à ses potes : il espère demeurer un amant attentionné et présent.

Le Club des Poulettes supplie Graziella de bien réfléchir, de ne pas mettre sa santé en danger pour un caprice qui n’est plus de son âge ; elles en rajoutent une couche en lui promettant un rapide veuvage. Elle les regarde du coin de l’œil : ne vaut-il pas mieux être veuve d’un homme qui vous laisse de quoi élever deux enfants que seule et divorcée d’un salaud ?

Conscients du bonheur qu’ils ont eu de se rencontrer, de la volatilité des affaires amoureuses – et de leur inconséquence parfois –, certains que leur complicité ne trouvera son salut qu’au sein d’une vie de famille, ils décident de faire fi à toutes les idées préconçues et de suivre l’élan de leurs cœurs et de leurs enthousiasmes.

La pire chose qui aurait pu leur arriver aurait été de passer à côté l’un de l’autre sans reconnaître l’amour de leur vie. Le grand gâchis – ils sont heureux d’en convenir ensemble – serait de se complaire dans leurs attirances, de s’enfermer, et de ne pas prendre le risque de se réinventer au-delà de leur petite histoire immédiate. Le souhait exprimé dans leurs beaux sourires est de tenir la gageure de se retrouver en tentant de faire des enfants dans un total dépassement d’eux mêmes. Pour le meilleur et pour le rire !

L’autre côté du miroir

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Vanity Fair n°42 – décembre 2016-janvier 2017

Kolia d’Holsteim est une énigme. Dans l’histoire de la peinture il est unique, son passage sur terre fulgurant. Regarder ses tableaux donne du génie à ses spectateurs. Il n’appartient à aucun mouvement. Il est sa propre école. Près de la moitié de ses 1100 œuvres peintes l’ont été dans les trois dernières années de sa vie. S’il n’était pas mort à 40 ans en se jetant par la fenêtre de son atelier aurait-il pu continuer dans une telle frénésie créative ? Pour essayer d’en savoir plus sur sa vie et éclairer mon regard sur son œuvre, au rebond du prétexte d’écrire son biopic je suis parti à la recherche de différents points de vue. Le milieu de l’art – critiques et marchands – s’enferme dans une vision conventionnelle. Il se cantonne à la version académique et officielle de l’artiste devenu monument indéboulonnable et valeur sûre. J’ai partagé avec de rares collectionneurs privés leurs visions et leurs attachements sincères même parfois extravagants avec les tableaux en leur possession – leurs regrets aussi de ne pas disposer de telle ou telle œuvre. J’ai pu saisir l’abime qui existe entre les collectionneurs envieux de la propriété des autres. Ils constituent dans leurs désirs singuliers de possession ultime une chaine presque infinie de passion insatiable.

Chaque être vivant est un morceau du puzzle de la réalité, une pièce infime de la vérité qui nous écrase. Les tableaux ? La projection de nos silences et de nos envies. L’œuvre de Kolia d’Holsteim doit-il être expliqué et compris, et non simplement être apprécié dans le dialogue passionné entre nos enthousiasmes et nos doutes ? Sa disparition précipitée s’est-elle inscrite dans la continuité de son geste artistique ou est-ce un accident ? Lui qui déclarait volontiers qu’il propose l’absolu, doutant jamais d’y parvenir, nous laisse perplexes, admirateurs et orphelins, dans tous les cas remplis d’interrogations. La seule vérité est-ce seulement la mort ?

Pour comprendre l’homme j’ai voulu approcher son cœur. Des trois femmes qu’il a aimées, une seule est encore en vie mais elle a refusé de me recevoir. Le prisme amoureux aurait pu me permettre de découvrir une facette ignorée de l’homme et du créateur.

Plus j’avance dans les méandres de sa création picturale plus il me plait d’en redessiner les contours. Quelques détails viennent me percuter comme des météorites d’évidence.

Jeune, Kolia d’Holsteim a été très impressionné par les icônes byzantines. Il n’a eu de cesse de s’approcher des images saintes mais aussi de l’auréole qui les entourait. Plus que la lumière c’est leur lueur qu’il a tenté d’approcher au plus près, zoomant toujours plus avant jusqu’à apercevoir l’obscurité et ses couleurs cachées. Il a pixélisé l’image sur ses tableaux avant que les écrans électroniques n’existent.

Dans un même élan, il a passé sa vie d’homme à guetter l’aube. Se levant chaque matin de sa courte vie pour découvrir aux premiers rayons du soleil les lignes changeantes de l’horizon. Il trouvait l’aurore plus subtile, plus belle, moins extravagante que les couchers de soleil magnifiques mais présomptueux.

Je réussi à rencontrer sa fille Laurence, qui me témoigna dans un moment de complicité inespéré le souvenir d’un papa qui semblait voler dans son atelier. Il posait ses toiles à même le sol, en accrochait certaines sur les murs et, tel un albatros en plume, ou un avion de chair, il passait de l’une à l’autre dans une chorégraphie d’extra-céleste. Il bombardait là des paquets de matière colorée, ailleurs il déposait de simples effleurements de peinture, parfois de subtils traits en pointillé. Il s’immobilisait aussi de temps en temps pour gratter la toile avec fureur.

Il survolait son œuvre en devenir tel un rapace cherchant sa proie ou un moineau rejoignant son nid. Il ne détruisait aucune toile mais il repassait dessus jusqu’à tant qu’il en soit totalement satisfait.

Dans son vol sa fille voit encore le tracé et le sillage d’une volonté de saisir ‘’l’imprévisible’’ pour le laisser s’échapper aussitôt.

Quand son père est mort, Laurence a cru qu’il était parti vers le soleil…

Vol plané

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Vanity Fair n° 41 – novembre 2016

Quel délicieux moment quand au cours d’un voyage je me retrouve dans un avion confortablement installé en business class choyé par le personnel de bord. Sauf, quand à 45 minutes de l’arrivée le commandant vous annonce qu’une petite avarie va nous obliger à nous poser avant l’heure. Nous survolons les Alpes. Je déteste entendre ce ‘’NOUS’’ enrôleur et solidaire qui tente à me faire croire que ‘’NOUS’’ allons tous mourir. Je veux immédiatement me désolidariser de cette figure imposée. Je reste bien assis sur mon siège alors que certains passagers montrent des signes de fébrilité. Une vieille bigote égraine des prières d’une voix de plus en plus forte. Un bébé se met à pleurer comme révélant l’inquiétude qui monte dans la carlingue. Un rire sardonique et tonitruant retenti quelque part dans la cabine, l’un des passagers semble avoir entendu la plus grande vanne de sa vie… Mes pensées se bousculent. Je regrette soudainement d’avoir provoqué des amis lors de mon dernier diner en ville. Je leur affirmais, à l’évocation des nombreux cancers qui se déclaraient dans nos entourages, de renoncer à me soigner si on m’en diagnostiquait un. Je refuse le calvaire de l’empoisonnement chimiothérapique et accepte la fatalité – sauf que là tout de suite, je ne veux pas mourir ! Je refuse la descente aux enfers. Rejoindre mon frère, mort lui aussi de mort violente. Cette fatalité amie me devient insupportable. Ce frère qui remonte à ma mémoire. Le plus voyou des deux, celui des bases besognes – jamais peur de rien – d’une générosité imbécile, ce frère avec lequel j’étais parti en montagne pour une escalade, ce frère qui s’est sacrifié, et l’avion descend, je vais mourir. Nous étions encordés et avons dévissé. Suspendus dans le vide, il a coupé la corde pour me libérer et me permette de sauver ma peau, m’a regardé, m’a souris, et il a coupé la corde sans rien dire. S’il ne l’avait pas fait, il ne serait surement pas dans cet avion aujourd’hui à ma place, et nous pourrions vivre tous les deux. Agh ! non, je suis déjà mort. Cela est supportable après tout. La vie, la mort les deux faces d’une même insouciance, d’une même farce. Rejoindre mon frère et pouvoir enfin m’expliquer avec lui sur le fondement de son sacrifice. S’il m’avait donné le choix, aurais-je eu le courage de me sacrifier pour lui ? Mais au fond, c’est lui le lâche. Dans son décrochage glorieux il m’a condamné à vivre dans l’ombre familiale de son geste héroïque. C’est moi qui supporte seul le poids du remord, la culpabilité d’être encore en vie. N’est-ce pas bientôt fini ? Il fait froid dans l’avion, nous penchons terriblement, est-ce que…

Lluïsa, la Princesse de verre

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Vanity Fair n°40 – octobre 2016

 
Les pères ont peur pour leurs filles car ils craignent sans le dire – sans oser se l’avouer aussi ? – qu’elles n’échapperont pas dans ce monde à l’esprit sordide, à être soit l’épouse, soit la putain d’un homme – ou en passe de devenir l’une ou l’autre, et vite !*
Ces pères inconsistants et fourbes veulent être prévenants, ils se mentent. Par lâcheté ils considèrent leurs délicieuses progénitures définitivement faibles. Dans un hypocrite et orgueilleux sursaut ils se posent en ultime rempart. Tel le Prince Juli de Palauenc de La Jonquera qui dans des temps pas si éloignés de notre ère chrétienne, en son domaine de Villeclare, interdit à sa fille la pratique du cheval.

La belle et intrépide Princesse Lluïsa ne l’entendait pas de la sorte et n’en fit qu’à sa tête. Elle aimait chevaucher à travers sa campagne catalane et rivaliser avec les autres cavaliers. Elle voulait affronter l’adversité, gouter aux sensations, aux trépidations interdites à son sexe, sauter les barrières, arriver la première, partager l’enthousiasme d’une cavalcade, sentir la respiration de l’animal, et surtout, surtout faire corps avec sa monture pour franchir tous les obstacles. Etre un humain comme les autres et profiter des joies que la nature lui offre. Elle avait du talent, beaucoup de talents et d’amour pour les chevaux.

Son père lui construisit un palais de verre pour l’y enfermer et la surveiller aisément. Elle usa de tous les stratagèmes pour s’échapper sans qu’il ne s’en aperçoive. Jusqu’à s’éclipser la nuit pour parcourir les chemins aux seules lueurs de la lune.

Bien renseigné, comme tout prince en son pays, son père apprenait en décalage les frasques équestres de sa fille. Vieillissant et bien inspiré, de guerre lasse, comprenant que la volonté de Lluïsa était plus forte que tous les interdits, il remit en cause ses truismes de vieux patriarche buté, il fit détruire le palais pour le fondre en une statue équestre. Il rendit à sa fille sa liberté et édifia un nouveau monument.

Encore aujourd’hui vous pouvez voir au centre du village de Palau del Vidre (Palais de Verre en catalan) une magnifique statue dédiée à sa fille représentant une belle amazone sur son cheval de verre.

*d’après Le Monde selon Garp – John IRVING.

Cheyenne PHILO

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Vanity Fair n° 39 – septembre 2016

La désinvolture souriante en point d’équilibre dans un couloir en pente d’une très belle mélancolie : Cheyenne Philo.
Comme beaucoup de jeune actrice Cheyenne, espérait le rôle de sa vie qui la propulserait dans les hautes sphères du confort et de la gloire mondiale. Quitte à se donner du mal autant atteindre le sommet, et vite. Ce n’est pas tant l’ambition qui la motivait mais l’efficacité, le refus obstiné de perdre son temps. Un cocktail de ténacité, de talent et de hasard lui permis d’incarner à 20 ans le rôle principal d’un film qui eu un retentissement phénoménal. Pour confondre toute frontière entre la réalité et la fiction les auteurs du film le nommèrent du nom de son interprète – comme si L’Ange Bleu s’était appelé Marlène Dietrich –. Cheyenne mena sa vie dans le sillage du film.
Elle devint l’objet de tous les fantasmes, de toutes les convoitises. Elle incarna à merveille la femme libre et androgyne. Au delà du cinéma, elle fut adulée par les marques de haute-couture, courtisée par les hommes et les femmes les plus riches et les plus séduisants ; les médias l’adoraient.
Hélas, elle trouva ce monde courtisan vide d’imagination et sans avenir pour elle. Après le rôle de sa vie, elle eut la juste inspiration de se trouver un rôle dans la vie.
Lasse des vieux hommes ventripotents et libidineux qui se trainaient à ses pieds, elle trouva un jeune père pour faire des enfants. Elle prit le temps de les voir grandir, prit de la distance avec le milieu du spectacle et se lança dans l’édition d’un coffee-table book consacré aux plus beaux téléphériques du monde. Son idée était de nourrir encore d’avantage l’émerveillement de ses fils quand ils en voyaient un en vitrine au moment des fêtes de Noël. Après les bonnes ventes de ce 1er opus elle édita un 2e album qui traita des origines inattendues de certaines inventions. Entourée de gens qui se prenaient parfois très au sérieux, elle avait été amusée d’apprendre qu’Albert Einstein avait eu l’inspiration de la théorie de la relativité en oblitérant des timbres-poste à la chaine. De la découverte du Porto en passant par le four à micro-onde, elle déclina, comme un pied de nez, les rencontres heureuses des hasards et des accidents qui débouchèrent sur des inventions. Elle remit au gout du jour le mot anglais ‘’Serendipity’’ (en français sérendipité : art de faire une découverte par hasard) et créa une chaine de salons de thé où les surprises ne manquent ni dans la salle ni à la carte.

Cheyenne, à 52 ans, est définitivement sortie de son film de cinéma pour vivre sa vraie vie et nous la donner à lire comme un roman.

Elisez-moi !

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Vanity Fair n° 38 – aout 2016

Mon père est la plus belle des ordures que le pays ait connue. Ma mère fut la plus grande des putes avant de le rencontrer. Je suis le fruit de cette magnifique union ; enfin, si j’en crois ma mère !

Ma vie a été une partie de cache-cache. Mon père a de tout temps subit des menaces, notamment sur moi ; dès ma naissance pour assurer ma sécurité, j’ai du disparaitre et changer de nom. Je ne porte pas celui de mes parents mais celui d’une ville d’Illinois – état de ma naissance. J’ai l’impression d’être un point sur une carte géographique. Je suis autant une destination touristique qu’un être humain. Un jardin secret en somme. Très vite ma charmante génitrice déclara ne plus vouloir d’enfant ; trop contraignant, trop compliqué, trop risqué… Pour son image de respectabilité mon père adopta officiellement, à grands renforts de communiqués, deux enfants qui firent aussi écran de protection pendant que je me la coulais douce en pensionnat et en résidence hôtelière où seule ma mère me rendait visite les week-ends. Malheureusement l’un deux fut kidnappé. Mes parents refusèrent de payer sa rançon. Mon faux frère fut exécuté. Malgré les soupçons qui pesèrent sur eux d’avoir été les vrais commanditaires de l’enlèvement, l’image de famille éprouvée et courageuse diffusée dans les médias leur fut très bénéfique. Ils demeuraient de parfaits salauds et le peuple les adulait.

Je pense avoir hérité de leurs qualités en laissant de côté leurs défauts. Pour l’essentiel, la beauté de ma mère, le sens des affaires de mon père, et des deux, leur indéboulonnable confiance en soi.

Ils portent l’opprobre en eux, moi la vertu. Je ne suis pas leur contraire, je suis la meilleure partie d’eux même. Dans le tirage au sort de la vie j’ai tiré le gros lot : j’ai reçu le meilleur et ignoré le pire. Je ne me sens pas du tout responsable de leurs méfaits. Chacun pour soi. Aucun enfant ne peut être jugé responsable du crime commis par ses parents. C’est donc sans état d’âmes que j’évolue gaiement dans la société, aussi désinvolte que téméraire, le sourire aux lèvres et la face joyeuse. J’avance dans la vie innocemment tel un être joyeux. Après de belles études et une réussite financière hors norme, par idéalisme, je caresse aujourd’hui le rêve immense et insensé non pas de faire mieux que mes parents mais d’inscrire mon faux nom dans l’histoire en briguant la fonction suprême de mon pays.

A l’électeur compétent je présente ma candidature.

Ah oui, j’oubliai de vous dire, « My name is Hillary ! ».

Villa Erotica

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Vanity Fair n° 37 – juillet 2016

Heureuse échappée à la banalité des jours : aller faire la fête dans la forêt de Chevreuse. L’esquisse du cabinet de piscine conçu en 1967 par Jacques Couëlle glissée dans l’enveloppe me rappelle le Palais Bulles de Pierre Cardin à Théoule-sur-Mer. En répondant au carton d’invitation se dessinait dans ma tête une envie de désir. Mon arrivée quelques semaines plus tard dans la propriété réanima ce penchant. Je fus immédiatement aspiré par le courant d’air circulant subrepticement dans la forêt où se révéla une maison improbable.

Villa Couëlle

Je fus immédiatement intrigué à la fois par le décolleté prometteur de la maitresse de maison que je vins poliment saluer et par la révélation des courbes de la construction qui se laissent deviner et découvrir inlassablement. La maison sait se faire oublier dans le paysage, elle en épouse les lignes – c’est son coté organique – elle se fait fantastiquement remarquer – son coté onirique – en interpellant nos sens. Quand on apprécie une maison, on se met dans la perspective notoire de l’acquérir. En fonction de ses prétentions et exigences personnelles, on se laisse flatter par l’apparence extérieure et on juge le confort intérieur. Cette villa se regarde de plusieurs façons que l’on soit dedans ou dehors. Mais on ne s’aperçoit pas y être entré, on ne se rend pas compte en ressortir. La nature des impressions ne change pas que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur. C’est l’endroit qui vous habite tout entier – qui vous met à l’envers –. Il inverse les codes de lecture et les complète. Je ne visite plus un lieu, j’endosse un costume, je vis un personnage : ce soir je suis de sortie dans un surprenant lieu-dit  ‘’Roche Couloir’’. Je monte et descends les escaliers, croise James Bond en discussion avec Austin Powers, fais le tour de la piscine au bord de laquelle Bertrand Burgalat drague éhontément une Jane Fonda-Barbarella plus lascive que jamais. Je m’envole au-dessus de la canopée pour m’imaginer dans les bras de magnifiques créatures langoureusement couchées et opportunément dévêtues au bord du bassin. Cette maison m’habille, elle m’invite aussi à me mettre à poils ! Plus de fausses pudeurs, que des rondeurs bienveillantes et complices. Quel que soit mon point de vue, le paysage est partout, à l’intérieur de moi-même, à l’extérieur des autres. A peine mon regard posé dans une perspective, il file déjà ailleurs. Je suis seul, empli de plénitudes et de contradictions prêt à dégoupiller la machine à fantasmes.

Les surréalistes auraient adoré faire la fête ici. La discrète et tonitruante Villa Goupil serait devenu leur Rush Boudoir pour s’évader et rêver à hautes voix ; ils auraient chanté la déstructuration de la pensée et loué la caresse des courbes.

LA MAISON D’ADÈLE

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Vanity Fair n° 36 – juin 2016

Notre histoire d’amour arrive à son sommet, les batifolages sont consommés, Adèle va bientôt me donner notre premier enfant. On ne veut pas savoir si ce sera un garçon ou une fille. Ce sera une surprise, un rebond imparable et attendu offert par la vie pour nous arracher un énième éclat de rire. Cette promesse de naissance nous rappelle à notre naïveté primitive et merveilleuse, celle de l’enfance. Elle m’éloigne aussi du corps de ma femme. Dans la solitude grandissante de ma future paternité je ressens le besoin de lui faire un signe. Je veux lui cacher mon désarroi et souligner mon attachement à l’histoire qui nous unit. Je cherche comment lui dire « je t’aime », mais refuse d’aller avec elle, et son ventre rond, pointer mon nez chez un joaillier pour lui offrir une bague sertie de pierres précieuses. Je ne veux pas d’un diamant éternel, plutôt un écrin pour notre amour et un nid pour notre futur enfant. Je souhaite la surprendre en lui offrant une maison.
Je vis dans un monde imaginé où la propriété résidentielle est l’exclusivité des femmes. Cette disposition idéale tend à contrebalancer la triste constatation que dès qu’une femme aime un homme, elle fabrique un infidèle (Yann MOIX). Si l’homme s’absente trop souvent du domicile conjugal, sa femme peut l’inviter prestement à retourner dormir chez sa mère !
Vouloir offrir à mon épouse la maison de ses rêves est une utopie furieuse. Au seuil de mon intention, je me rends compte de la difficulté de la tâche. J’ai plus de chance de la décevoir que de l’étonner. Je dénonce les truismes imbéciles et décourageants et m’obstine à mener à bien mon projet. La maison que je trouverai sera une version de la femme que j’aime. Je la lui offrirai comme un miroir au reflet éternel de sa beauté, pensai-je.
Nous fîmes un autre enfant avant de tomber par hasard, pendant des vacances, au détour d’une route de Provence, sur un ancien corps de ferme pour lequel Adèle eut un coup de cœur. Il y a dans chaque femme une esquisse de maisonnée, avec dans un recoin d’elle-même la maison de ses rêves. Sans son assentiment involontaire je n’aurai pas osé la lui offrir en cadeau.
Elle avait presque oublié l’endroit quand, un an plus tard nous allâmes nous y promener et que je lui remis les clés. Je crus deviner dans l’expression de sa joie et de son incrédulité le même visage que je fis quand je devins papa pour la première fois. Une extase statique et généreuse qui nous remplit d’aise.
Clin d’œil prémonitoire, nous avions nommé nos deux premiers enfants, Amandine et Olivier. Sa nouvelle propriété est située sur une colline couverte d’oliviers, d’amandiers, de vignes et de fleurs à parfum.

En regardant par les fenêtres de la maison d’Adèle, je vois d’autres prénoms se dessiner dans la campagne comme la promesse d’une belle aventure familiale.

SAN FRANCISCO

Les deux faces d’un même récit
———— Version # 1 ————
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Vanity Fair n° 35 – mai 2016

Quand le nom de Dorothée von F. apparaît sur son écran avec l’invitation à rejoindre son groupe d’amis, Cornelius Angel s’étonne. Une vague impression de déjà vu saupoudrée d’un parfum d’indécence bouscule son esprit. Est-ce encore une énième approche éhontée d’une amazone du net disposée à vendre ses charmes sur le grand trottoir qu’est devenue la toile, ou la sollicitation décalée d’une ancienne amie ? Il se balade sur son mur et essaye d’identifier l’intruse.
Pas d’enfant, pas de mariage, Cornelius vit à Paris ; il a fait sien l’adage d’Albert Cossery : la conquête d’un empire ne vaut pas une heure passée à caresser la croupe d’une jolie fille assoupie sous la tente dans l’immobile désert.
Aussi se demande-t-il si la résurrection virtuelle dont il est le témoin n’est pas celle d’une de ses furtives rencontres d’autrefois, une caresse de la nuit envolée au petit matin qui revient à travers le temps jouer les ondes chinoises.
Derrière son écran-paravent il devine son profil lui tendre la main. Dorothée von Finckenstein habite San Francisco et vient passer une semaine à Paris, elle est curieuse de revoir Cornelius.
Au Jardin du Luxembourg, où ils se sont donnés rendez-vous, parmi les nymphes baladeuses il cherche à découvrir ce qu’il connaît par cœur : ces femmes toutes en légèreté, devenues parisiennes par destination, marchant habillées des regards qu’elles ne dédaignent pas mais qu’elles feignent d’ignorer ; Il leur porte un intérêt discret et passionné. Vient le moment où la silhouette de Dorothée se dessine à l’horizon. L’instant où tout bascule. Le passé, englouti par les distances et l’oubli, refait violemment surface. La réalité s’impose, le télescopage dérange Cornelius. Il choisi de se détourner de la trajectoire de Dorothée afin de l’éviter définitivement. Seuls les héritiers d’une même famille sont obligés de se rapprocher un jour après s’être ignorés prestement pendant de longues années. Il garde sa liberté d’action. Tenu devant l’évidence, il estime cette possibilité à voyager dans le temps peu salutaire pour son avenir imaginaire. Il tient à ne pas corrompre ses souvenirs. Il préfère l’empreinte éthérée des caresses passées à la promesse hasardeuse de nouvelles tendresses.

Quand deux êtres se retrouvent 30 ans après ils se rejoignent pour toujours ou se perdent à jamais…

LOS ANGELES

Les deux faces d’un même récit
———— Version # 2 ————
Vanity 35_mai16 V2
Vanity Fair n° 35 – mai 2016

Quand le nom de Dorothée von F. apparaît sur son écran avec l’invitation à rejoindre son groupe d’amis, Cornelius Angel s’étonne. Une vague impression de déjà vu saupoudrée d’un parfum d’indécence bouscule son esprit. Est-ce encore une énième approche éhontée d’une amazone du net disposée à vendre ses charmes sur le grand trottoir qu’est devenue la toile, ou la sollicitation inspirée d’une ancienne amie ? Il se balade sur son mur et essaye d’identifier l’intruse.
Pas d’enfant, pas de mariage, Cornelius vit à Paris ; il a fait sien l’adage d’Albert Cossery : la conquête d’un empire ne vaut pas une heure passée à caresser la croupe d’une jolie fille assoupie sous la tente dans l’immobile désert.
Aussi se demande-t-il si la résurrection virtuelle dont il est le témoin n’est pas celle d’une de ses furtives rencontres d’autrefois, une caresse de la nuit envolée au petit matin qui revient à travers le temps jouer les ondes chinoises.
Derrière son écran-paravent il devine son profil lui tendre la main. Dorothée von Finckenstein productrice à Los Angeles vient passer une semaine à Paris, elle est curieuse de revoir Cornelius.
Au Jardin du Luxembourg, où ils se sont donnés rendez-vous, parmi les nymphes baladeuses il cherche à découvrir ce qu’il connaît par cœur : ces femmes toutes en légèreté, devenues parisiennes par destination, marchant habillées des regards qu’elles ne dédaignent pas mais qu’elles feignent d’ignorer ; Il leur porte un intérêt discret et passionné. Vient le moment où la silhouette de Dorothée se dessine à l’horizon. L’instant où trente années se télescopent pour prendre l’épaisseur d’une feuille de papier verticale sur laquelle ils vont tenter de coucher ensemble leurs nouvelles complicités horizontales. Dans leur conversation s’entremêlent souvenirs lointains et projets éminents. La belle a un aveu à lui faire. Il s’amuse de l’intrigue : Les choses graves ne peuvent-elles pas attendre ? Dorothée avoue lui avoir emprunté un poème qu’il lui avait envoyé quelques semaines après qu’ils se soient quittés, pour l’adapter et en faire une chanson à succès. Elle est extrêmement gênée et inquiète de la réaction de Cornelius . Lui rigole : Tu traverses l’Atlantique et reviens trente ans après pour me dire cela ? Tu travailles dans l’industrie, (et la vente) du rêve, je suis un rêveur ; un artisan du rêve. Allons au Bar Joyeux trinquer aux succès des uns, aux talents des autres, et surtout aux sourires des anges !