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L’autre côté du miroir

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Vanity Fair n°42 – décembre 2016-janvier 2017

Kolia d’Holsteim est une énigme. Dans l’histoire de la peinture il est unique, son passage sur terre fulgurant. Regarder ses tableaux donne du génie à ses spectateurs. Il n’appartient à aucun mouvement. Il est sa propre école. Près de la moitié de ses 1100 œuvres peintes l’ont été dans les trois dernières années de sa vie. S’il n’était pas mort à 40 ans en se jetant par la fenêtre de son atelier aurait-il pu continuer dans une telle frénésie créative ? Pour essayer d’en savoir plus sur sa vie et éclairer mon regard sur son œuvre, au rebond du prétexte d’écrire son biopic je suis parti à la recherche de différents points de vue. Le milieu de l’art – critiques et marchands – s’enferme dans une vision conventionnelle. Il se cantonne à la version académique et officielle de l’artiste devenu monument indéboulonnable et valeur sûre. J’ai partagé avec de rares collectionneurs privés leurs visions et leurs attachements sincères même parfois extravagants avec les tableaux en leur possession – leurs regrets aussi de ne pas disposer de telle ou telle œuvre. J’ai pu saisir l’abime qui existe entre les collectionneurs envieux de la propriété des autres. Ils constituent dans leurs désirs singuliers de possession ultime une chaine presque infinie de passion insatiable.

Chaque être vivant est un morceau du puzzle de la réalité, une pièce infime de la vérité qui nous écrase. Les tableaux ? La projection de nos silences et de nos envies. L’œuvre de Kolia d’Holsteim doit-il être expliqué et compris, et non simplement être apprécié dans le dialogue passionné entre nos enthousiasmes et nos doutes ? Sa disparition précipitée s’est-elle inscrite dans la continuité de son geste artistique ou est-ce un accident ? Lui qui déclarait volontiers qu’il propose l’absolu, doutant jamais d’y parvenir, nous laisse perplexes, admirateurs et orphelins, dans tous les cas remplis d’interrogations. La seule vérité est-ce seulement la mort ?

Pour comprendre l’homme j’ai voulu approcher son cœur. Des trois femmes qu’il a aimées, une seule est encore en vie mais elle a refusé de me recevoir. Le prisme amoureux aurait pu me permettre de découvrir une facette ignorée de l’homme et du créateur.

Plus j’avance dans les méandres de sa création picturale plus il me plait d’en redessiner les contours. Quelques détails viennent me percuter comme des météorites d’évidence.

Jeune, Kolia d’Holsteim a été très impressionné par les icônes byzantines. Il n’a eu de cesse de s’approcher des images saintes mais aussi de l’auréole qui les entourait. Plus que la lumière c’est leur lueur qu’il a tenté d’approcher au plus près, zoomant toujours plus avant jusqu’à apercevoir l’obscurité et ses couleurs cachées. Il a pixélisé l’image sur ses tableaux avant que les écrans électroniques n’existent.

Dans un même élan, il a passé sa vie d’homme à guetter l’aube. Se levant chaque matin de sa courte vie pour découvrir aux premiers rayons du soleil les lignes changeantes de l’horizon. Il trouvait l’aurore plus subtile, plus belle, moins extravagante que les couchers de soleil magnifiques mais présomptueux.

Je réussi à rencontrer sa fille Laurence, qui me témoigna dans un moment de complicité inespéré le souvenir d’un papa qui semblait voler dans son atelier. Il posait ses toiles à même le sol, en accrochait certaines sur les murs et, tel un albatros en plume, ou un avion de chair, il passait de l’une à l’autre dans une chorégraphie d’extra-céleste. Il bombardait là des paquets de matière colorée, ailleurs il déposait de simples effleurements de peinture, parfois de subtils traits en pointillé. Il s’immobilisait aussi de temps en temps pour gratter la toile avec fureur.

Il survolait son œuvre en devenir tel un rapace cherchant sa proie ou un moineau rejoignant son nid. Il ne détruisait aucune toile mais il repassait dessus jusqu’à tant qu’il en soit totalement satisfait.

Dans son vol sa fille voit encore le tracé et le sillage d’une volonté de saisir ‘’l’imprévisible’’ pour le laisser s’échapper aussitôt.

Quand son père est mort, Laurence a cru qu’il était parti vers le soleil…

RENDEZ-VOUS A BARBACANE

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Vanity Fair n°29 – novembre 2015

Rien de plus périlleux, que de partir en vacances, préparer ses bagages et affronter les transports. Je m’installerai bien volontiers dans le transat du voyageur immobile. Et pourtant j’éprouve un vrai plaisir à être parfois en mouvement en dehors de chez moi, à ressentir avec mon corps et ma sensibilité l’influence des lignes et des reliefs que je croise, à converser et à m’étonner avec les gens que je rencontre. Comment concilier la peur des départs, l’aversion pour le tourisme et mon envie sincère de dépaysement ? Avec une petite lâcheté assumée je m’oblige à partir en invitant ma dulcinée ; un peu comme l’adulte qui prend comme alibi d’accompagner ses enfants pour savourer en toute impunité un dessin animé. Sur la recommandation et le parrainage d’un très bon ami, je me suis engagé à partir pour Barbacane dans le golf d’Eden. Je découvre sur le papier une offre luxueuse et épurée, en bord de mer.
Le confort assuré, le repos du corps et de l’esprit garanti, je m’envole léger avec ma seule brosse à dents – une garde robe complète en adéquation avec le climat et les activités fait partie des agréments proposés. Je pars sans réticence. A peine le pied posé à destination, je commence à déchanter. Rien de ce que je m’étais imaginé n’est au rendez-vous. Nous sommes tombés dans un traquenard. Tout repli est impossible.
Malgré l’austérité et la rudesse du décor désertique, ma contrariété légitime s’estompe, je me laisse embarquer pour un autre voyage. Une belle connivence s’installe entre nos hôtes et les vacanciers naufragés. Chaque matin nous nous levons tôt et après une longue marche nous admirons en silence les splendeurs de l’aube plus belles et plus subtiles que les couchers de soleil. Nous envisageons les tableaux de Nicolas de Staël et le bleu cassé de René Char. Sur les chemins du retour nous explorons chaque jour un recoin du site archéologique qui s’avère être le joyau de notre séjour. Nous découvrons les mystères de nos origines en décryptant les nombreuses peintures rupestres.
Il n’y a rien. Il y a tout.
Parti dans le geste-encore-et-toujours d’une consommation énervée, je repars après dix jours de remise en question avec le souvenir d’une contemplation reposée. Oui, je ne suis plus le même.
Je n’hésiterai pas à parrainer des amis très chers, sans bien sûr, tout leur dévoiler. L’envie, la désillusion, la résignation éclairée puis la volonté de rester vivant et curieux font partie de l’expérience et du choc nécessaire à savourer le rendez-vous à Barbacane.