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La danse des zéros

Vanity 12_juin14
Vanity Fair n° 12 – juin 2014

Voyager me fait peur mais je ne conçois pas le bonheur assis… Je découvre sur mon compte bancaire un crédit de vingt cinq millions d’euros – le prix de vente du Christina, l’ancien yacht d’Onassis. En chiffre cela donne 2 5 0 0 0 0 0 0. Avec la danse des zéros, la possibilité de l’achat d’une belle conduite en espadrilles cousues de fils d’or s’offre à moi, ma quête d’envergure appelle des horizons ensoleillés.  Je quitte le nord pour les promesses du sud. J’abandonne la routine et file vers un avenir certain et une garde-robe allégée. Je n’oublie personne, je continue à devenir. Avec la fortune je fais le point. Ni garage, ni piscine, j’accepte la jouissance du monde en héritage et me promets une existence à la recherche de l’émerveillement. Je veux dans un même mouvement embrasser les choses et les êtres. Patiemment.

Dorénavant, je ne bougerai plus de chez moi. J’ai élu domicile dans une maison sans toit. Avec la pluie de zéros je me suis offert une présence entre le ciel et la mer. Mon vieux yacht de 30 mètres vogue sous pavillon alméritain*. Sous les tauds des terrasses du bord je suis à l’ombre des agressions et des contrariétés excessives, loin de tout énervement. Chaque escale, préparée avec l’équipage, est voulue pour me permettre de m’imprégner du territoire que je découvre. Je vais souvent à terre pour me perdre hors des sentiers battus et retrouver la sagesse de l’homme qui se meut lentement. De retour à bord je laisse revenir les souvenirs et déroule le fil de ma déambulation hasardeuse ; je me fixe comme horizon de ne jamais lever l’ancre pour un nouveau mouillage sans avoir couché sur le papier l’histoire invisible qui relate avec sincérité mes rencontres avec les gens et les paysages. Je veux partager et aussi aplanir le minuscule chaos que chaque pérégrination terrestre provoque en moi, sans prendre racines dessiner quelques fleurs pour les offrir à la postérité.

Je rends visite à des amis, ils viennent me voir. L’embarcation est grande, je reçois ma famille quand elle s’invite. Propriétaire de mon navire, je loue le bonheur. Ma vie est un poème, je fuis l’exil, j’aime l’esprit des iles, mon bateau s’appelle l’Inattendu

 

* L’Almérite est l’heureux mariage du ‘’peut-être’’ et du ‘’pourquoi pas’’. La synthèse inspirée de la France-Amérique. Un pays à l’attitude franchement latine doué d’un pragmatisme sans faille : Cassius Clay en tutu dans les bras de Brigitte Bardot, Jacky Kennedy en petite tenue acceptant un tour à moto avec Steve McQueen…