Archives de catégorie : Ubarius, un brin rêveur avec Vanity Fair

Je partage avec vous le voyage que je fais chaque mois en lisant Vanity Fair.

ETRE UN AUTRE

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Vanity Fair n° 24 – juin 2015

Devant la porte de son cabinet, le professeur Malaparte est fébrile. Avec quelques outils il entend fixer lui-même sa nouvelle plaque professionnelle sur laquelle on peut lire :
« Yvan MALAPARTE, docteur en psychologie et théâtre ».
Après quinze années de pratiques psychanalytiques, ayant constaté les limites des thérapies traditionnelles et voulant aussi dénoncer le comportement complaisant de confrères peu scrupuleux à reconduire éternellement les séances , le professeur a mis au point une nouvelle méthode. C’est un de ses patients qui lui a donné l’idée de privilégier la théâtralisation de l’existence plutôt que son intériorisation. Il souffrait d’une timidité maladive. Malgré un travail classique et rigoureux, des prises de conscience prégnantes et une mise à plat, sinon un démêlage complet des liens avec ses parents, rien ne semblait améliorer sa relation avec le monde extérieur. Il lui proposa de l’accompagner à jouer des rôles qu’ils composèrent ensemble. Pour cela ils se virent deux à trois fois par semaine pendant six mois. Soulagé de ne plus centrer exclusivement sur lui la conversation, le patient s’ouvrit à critiquer les situations dans lesquelles il se plongeait délibérément et, petit à petit se libéra de sa pathologie.
La méthode est une sorte de complexe du castor produit et contrôlé par le médecin où le patient se transforme en sa propre marionnette ; il devient l’acteur de ses maux intimes et grâce à la distance que lui apporte le jeu et aux nombreuses mises au point, il en accepte l’analyse. Avec une autre personne qui avait du mal à s’exprimer, il lui proposa de chanter et de préparer une sorte de mini tour de chant. Chaque individu devient actif et réactif, le temps de la guérison se raccourcit. Plutôt que de disposer de ses patients comme de pantins, le professeur imagine avec eux de rédempteurs personnages. On passe d’une théorie freudienne vieillissante à un concept novateur et enthousiaste.
Seul sur son palier, maintenant depuis plusieurs minutes, le docteur se gratte la tête sans savoir comment procéder à la pose de sa nouvelle plaque. Il se prenait pour un Castor Junior habile des ses mains ; il se résout à faire appel aux services d’un professionnel.
Pas facile d’être un autre !

Poussières de paradis

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Vanity Fair n° 23 – mai 2015

Affirmer bien vivre me paraît une déclaration présomptueuse et stupide, une vaine proclamation sur l’existence qui dénoncerait l’insouciance béate ou masquerait la désespérance sournoise de son annonceur. La vie est moche comme une sardine mais elle est bonne pour la santé ! Il arrive à tout être doué un tant soit peu d’intelligence et de sensibilité de se sentir malheureux parfois. Sans en faire une profession de foi, taire sa tristesse est malhonnête, et mettre ostentatoirement son bien être en avant, indélicat et superficiel. J’aimerai être un simple d’esprit pour percevoir la vie avec assez de légèreté et, me sentant bien heureux le déclarer en toute liberté. Las, je ne le suis pas. Cynique et dépressif non plus. Un brin désabusé et mélancolique, je trimballe ma carcasse sur les chemins avec le regard de l’optimiste devenu pessimiste à force de constatations désastreuses. J’adapte ma trajectoire au gré des circonstances et des reliefs, m’efforçant de vivre dans un même élan de générosité la joie des ascensions ainsi que la désillusion des dégringolades. Jamais je ne me plaindrai de la vie, jamais je ne m’extasierai de manière définitive non plus. J’ambitionne de mourir heureux. A cinquante ans, je viens de passer un deal avec les Hells Angels de mon quartier de Joufflard-en-Bouzy. Nous nous sommes mis d’accord afin qu’à l’horizon de mes 80 ans ils m’aident à devenir immoral et joyeux. Notre contrat est oral, il les engage dès maintenant à me fournir, dès le premier appel de ma part, en ‘’poussière de paradis’’, un panaché de produits me permettant de me lâcher enfin jusqu’à mourir dignement sans importuner mes proches par un état de santé inconfortable et dégradant. J’espère ainsi expérimenter un protocole, élaboré très en amont, pour une belle fin de vie tonitruante. L’important n’étant pas pour moi de durer, comme certains l’ambitionnent, mais bien de conclure mon passage sur terre de la plus belle des manières, en bonne santé ! et des rêves plein la tête.

Le bar des Batignolles

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Vanity Fair n° 22 – avril 2015

Non, je n’ai jamais rêvé d’être l’héritier d’un quelconque consortium industriel, trop certain qu’avec trop de propriété commencent les ennuis… Petit garçon mon idéal consistait, bien entendu, à vouloir ce que je n’avais pas. Non content d’habiter un appartement dans les beaux quartiers assez grand pour y apprendre à faire de la bicyclette – j’ai ainsi pu frimer devant les copains en pédalant très vite sur les trottoirs sans être équipé de petites roues ridicules et humiliantes – j’aurai voulu que mes parents possèdent un Bar-Restaurant pour vivre au-dessus (de nos moyens !). L’idée a sans doute germé au moment où ma sœur, mes parents et moi avons pris tous nos repas au bistrot du coin le temps que notre cuisine soit entièrement refaite. Jamais les croissants et le chocolat chaud ne me parurent aussi bons. J’ai construit à partir de cette heureuse expérience un lieu de vie idéal dans lequel je me voyais évoluer sans me soucier des années :
« Je suis fils unique, tous les matins je prends mon petit-déj’ au bar. Mon père ressemble à Jean YANNE, ma mère à Brigitte BARDOT. Notre berger allemand est une femelle, elle s’appelle Stella et veille sur moi. Papa est toute la journée derrière son bar. Maman porte de jolies robes à carreaux vichy. Les affaires tournent bien, cela me rassure. Je déjeune à la cantine car à midi Maman aide Papa en salle et elle n’a pas le temps de bien s’occuper de moi. Quand je rentre après les cours le truc que je trouve le plus génial au monde est de passer par le restaurant pour rejoindre l’appartement. J’embrasse Papa, les habitués me saluent et je monte chez moi par une porte dérobée dissimulée dans un mur de la salle du 1er étage. Parfois, je surprends amusé des amants qui s’embrassent. C’est ça la vie ! Je sais que cela va m’enchanter, plus tard. Arrivé au 2e étage en haut de mes volées d’escalier, je suis bien, au calme, à l’abri du tumulte.
Aux yeux de mes copains que j’invite à mes anniversaires – avec limonade à volonté – je suis le garçon le plus chanceux de l’école. « I agree » comme on dit en Amérique. Ils ne connaissent pas le passage secret car nous ne privatisons pour eux que la salle du 1er. Je tiens à mon domaine exclusif et réservé.
J’ai 7 ans en 1968 et, plus tard, ça y est c’est décidé, je veux être François TRUFFAUT.
God save Les Batignolles ! »

L’Île aux Avions

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Vanity Fair n°21 – mars 2015

Avec l’inclinaison de chaque page du magazine qui se tourne se présente une piste de décollage vers un ciel imaginaire dans lequel j’aime évoluer. Contributeur patenté de Vanity Fair qui héberge mes lignes régulières depuis peu (on peut rêver ?), après mes nombreux voyages immobiles sur papier glacé, je suis heureux aujourd’hui de me retrouver assis dans un Falcon privé et en grande discussion avec Xavier ROMATET et Michel DENISOT – respectivement directeur de la publication et directeur de la rédaction. Nous nous rendons à la seule destination exclusivement réservée à la réelle Jet Society, un lieu très privé appelé l’île aux Avions où on ne peut accéder que par les airs. Aucune ligne commerciale n’aura jamais l’autorisation d’y atterrir.

L’île est en fait un luxueux complexe hôtelier réservé aux propriétaires d’avions privés. Perdu exprès au milieu de nulle part dans l’Atlas, et opportunément construit dans un cirque naturel d’une centaine d’hectares encerclé de montagnes, le lieu abrite aussi un lac naturel permettant aux hydravions d’aquatir.

Nous sommes invités par le Jet Set Club de l’Île aux Avions dont les membres sont aussi bien des célébrités hollywoodiennes, à l’instar de John TRAVOLTA ou Harisson FORD, que d’illustres inconnus ; tous sont passionnés d’aviation et possèdent leurs propres aéronefs. Ils viennent là se reposer et partager leur passion. L’ambiance est à la fois luxueuse et bonne enfant.

Devant le succès de ce premier resort exclusif, les membres associés du Jet Club ont décidé d’ouvrir une Île aux Avions sur chaque continent et nous ont choisis comme partenaire presse.

Le projet est ambitieux et riche en promesses. Grâce à l’implantation internationale de notre éditeur, nous allons, avec les contributeurs d’autres pays, recueillir et restituer l’histoire et les sensibilités de chaque territoire hôte afin de déployer nos articles sous le même ciel. Nous naviguerons tous sous un même pavillon : VANITY FLY.

Et moi de m’amuser déjà à imaginer le programme de fidélisation des heureux membres abonnés qui consistera non pas à accumuler des Miles mais des Smiles…

Héroïne

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Vanity Fair n°20 – février 2015

J’ai rendez-vous avec la femme parfaite. Les négociations avec son agent ont été rudes ; il a accepté que sa cliente condescende à m’accorder une entrevue dans ses confortables bureaux afin que nous soyons tranquilles – à l’abri des regards indiscrets et des sollicitations d’admirateurs zélés et libidineux. Wonder Woman s’est faite attendre et désirer ; je la vois arriver précédée par une charmante hôtesse d’accueil que j’aurai bien prise, un court instant, pour mon invitée ! Mon intention est confuse : entre ma faiblesse pour la beauté naturelle de l’une et l’attrait de la célébrité de l’autre.

Nous nous asseyons face à face autour d’un service à thé fumant. La rencontre est prévue pour durer une heure trente. Je dévisage mon interlocutrice afin de découvrir ses éventuels défauts, ses points faibles, ses zones dangereuses : son apparence est lisse, sa sensualité furtive ; elle n’a pas su se défaire de tous ses ornements fictionnels, sa tenue semble être griffée à la fois par Coco Chanel et Achille Zavatta : dommage !

J’entame consciencieusement la conversation en lui demandant si elle se considère comme une femme de pouvoir. Déjà je m’évade dans le regret de ne pas être en train d’interviewer une Barbarella pulpeuse et libérée. Sa bouche articule à toute allure un semblant de réponse qui me subjugue, puis elle se lève. En même temps que je quitte mon fauteuil pour la raccompagner, je regarde furtivement ma montre et constate que l’heure trente est bien passée. Je ressens une impression de plénitude et de frustration. Le temps imparti s’est bien déroulé ; mais ne me quitte-t-elle pas si précipitamment parce qu’elle a lu dans mes pensées et se sent horriblement vexée ? Elle me salue avec grande politesse et disparaît. On m’expliquera plus tard avoir été emmené par elle dans un voyage extratemporel ; un des ses supers pouvoirs lui permet de se déplacer à sa guise dans le temps à la vitesse souhaitée.

Je me remets de mon décalage horaire en réalisant l’impression d’infini que me donnent les instants que je partage à caresser le corps de la femme que j’aime. Elle est mon super éros !

 

 

Mister Tumbleweed

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Vanity Fair n° 19 – janvier 2015

Michaël Tumbleweed* est le rejeton maladroit mais inspiré d’une des plus fameuses dynasties hollywoodiennes. Il développe depuis sa tendre enfance une folie douce qui se traduit par le développement de projets extravagants derrière lesquels il se cache. Il est tiraillé par le désir d’être reconnu et adulé tout en redoutant plus que tout la célébrité et son corollaire, la perte de liberté. Il a toujours fait porter ses projets par d’autres. Ce n’est pas lui qui soutint et intrigua auprès des instances olympiques pour faire du diabolo une épreuve officielle. Ses moyens lui permirent d’acheter la Vic Firth Company – fabricant de baguettes pour batterie – et son président fut dans l’obligation, en tant que principal sponsor, de tenir à bout de bras cette ambition surréaliste et loufoque. Il s’appuya également sur la puissante société sucrière Saint-Pouce pour organiser à Cap Cod le 1er Festival Mondial des Triporteurs à Barbes à Papa. Il préféra revendre la sucrière pour empocher d’importants bénéfices et abandonna le festival à d’autres qui ne surent le développer. C’est lui qui finança en Californie la 1ère compétition de véhicules propres fonctionnant sans essence et qui devint le Bidendum Challenge. Il laissa l’idée lui échapper. Il vouait à l’époque une admiration sans borne pour une actrice, il s’éreinta à la séduire mais ne devint jamais son amant. Lors d’un diner qu’il organisa, la belle personne tomba amoureuse de l’acteur le plus couru d’Hollywood qu’il avait également convié à sa table. Loin de s’offusquer de la situation il devint leur chaperon. Une complicité particulière naquit entre ce couple très en vue et lui très en retrait. Il acheta un domaine en Provence afin d’accompagner leur souhait de se marier secrètement, il s’y installa et découvrit la quiétude à quelques encablures de la Riviera, loin de la Californie. Il eu le plaisir de recevoir à plusieurs reprises son couple d’amis et ses six enfants, il assouvit en exclusivité et discrètement son admiration pour la belle actrice. Désabusé de voir les nombreuses pièces de son domaine vides une grande partie de l’année, il créa une fondation et transforma sa résidence en orphelinat. Il le nomma ‘’Angélina’’ et demanda à son amie d’en devenir la marraine. Il ne fonda jamais de famille mais assuma la présidence de l’établissement jusqu’à son dernier jour. Michaël Tumbleweed vécut sa vie par procuration. Sur sa tombe l’épitaphe : ‘’Gone with the wind’’.

*Tumbleweed est le nom que donnait George Whitman à ses passagers volontaires des galères littéraires à sa librairie Shakespeare and Cie. Tumbleweed « virevoltant », à l’image de ces touffes d’herbe sèche que l’on voit rouler au gré du vent dans les westerns.

Joufflard-en-Bouzy

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Vanity Fair n° 18 – décembre 2014

Une nouvelle année va bientôt commencer, je continue chaque mois à voyager en magazine. Je lis, je m’envole ; je flâne entre les lignes, je laisse courir mon imagination après la fin des phrases et vous invite à rebondir sur le numéro-trampoline du mois passé.
Bienvenue à Joufflard-en-Bouzy où un séisme paysagé a sérieusement secoué les 4200 âmes de ce paisible village rural le plus proche de Paris : la réalisation d’un programme immobilier, contre-nature pour les uns, évident pour les autres, a déchaîné les passions. La construction d’une tour de 70 mètres de hauteur a bien failli détruire la résidentielle quiétude de ce mince tissu urbain baigné de verdure.
En accordant courageusement son permis de construire, le maire, malgré la pénurie de réserve foncière, a réussi à combler le déficit de logements aidés ; suffisamment de places de parking, avec 7 niveaux souterrains, ont été créées pour permettre de désengorger le stationnement dans les rues étroites et de développer les circulations douces dans le village ; un musée patrimonial présente désormais, au dernier étage de la tour, les pépites ignorées du patrimoine de proximité : une tour de Chappe, le Fort du Trou d’Enfer, le château des Gondi… D’en haut la nature est magnifique à contempler.
Le village s’est tourné vers l’avenir en un beau geste architectural et urbanistique.
Des oracles autoproclamés prédisaient les pires horreurs quant à l’impact sur l’environnement, la vue allait être cachée, la vie des villageois gâchée pour l’éternité ; tous les recours administratifs ont été exercés, en vain – spécificité bien française d’avoir dans chacun de ses villages un ronchon magnifique qui s’oppose à tout projet par principe. Que pensait-on, avant leurs constructions, du Pont du Gard, de la Tour Eiffel, du viaduc de Millau ?
Personne n’a raison ni tord. Point de procès d’intention ! Vivent les process d’invention !
Tous les Joufflu-Soyeux* s’épanouissent aujourd’hui au voisinage de la Tour Verdura devenue le Totem bienveillant du village.
Le nom de la tour est un clin d’œil malicieux – une sorte de courtoisie moqueuse en direction de ceux qui protégeaient soit disant l’avenir sans regarder plus loin que le bout de leur nez, avouent en privée le maire et l’architecte du projet – : avec ce nom, on peu entendre une allusion au vert écologique, il faut surtout y voir un hommage au talent du joailler Fulco di Verdura qui su si bien à partir des années 40 rendre ses créations à la fois tendance, élégantes et intemporelles.

Ces hommes ont réussi à faire quelque chose de beau à partir de leurs gênantes contradictions.

* C’est ainsi que se nomment les habitants de Joufflard-en-Bouzy.

Lettre d’Amour

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Vanity Fair n° 17 – novembre 2014

Lilly Chou, je veux réparer une injustice. Sur le chemin de notre vie je veux t’écrire aujourd’hui ma première lettre d’amour. Voilà plus de trente ans que nous marchons ensemble, l’un à côté de l’autre, toujours. Mais jamais avec un mot écrit. Des mots intemporels pour nous accompagner dans la danse des jours. Moi qui ai le porte-plume planté au corps et au cœur, je n’ai jamais pris le recul nécessaire pour dessiner les idées qui nous rapprochent et qui nous lient. Alors que je m’adresse à toi j’ai l’impression de t’écrire au pluriel : à peine crois-je te cerner que tu es déjà devenue quelqu’un d’autre. J’écris à l’amante, je vois la maitresse de maison qui me regardait hier soir attendant son compliment après l’excellent diner servi à nos invités ; je m’adresse à la jeune fille légère et c’est la femme conquérante qui me renvoie à mes responsabilités… Pour rester jeune il faut vivre vieux. Pour connaître le sentiment amoureux dans sa belle diversité tu me fais découvrir qu’il faut cultiver la longévité et son agrément : la patience. Saltimbanque de l’affection je t’avoue grandir chaque jour à tes côtés, mais tu le sais déjà. Les femmes font les écervelées pour laisser croire aux hommes qu’ils sont supérieurs. Dans ce jeu d’ombres et de lumières, j’opterai pour paraître avec toi dans un faisceau tamisé. Avec à tour de rôles, en vedettes, chacune de nos importances singulières et de nos priorités communes : l’épanouissement de nos enfants, certes, mais aussi de nos deux personnalités complices. Ensemble nous avons le talent de nous bonifier l’un l’autre. Le temps rapproche les êtres sages. Il y a des amours heureuses. Le choix de nous marier ne nous appartient plus. Nous étions désireux de nous découvrir et rêvions de fonder une famille. Le pari est réussi. L’homme qui est dans ton lit n’a plus vingt ans depuis longtemps et, il te sourit de toutes ses dents. Quand la jeunesse appelait le désir et son contentement rapide, l’âge mûr se nourrit lui, sans jamais se résigner, d’étonnements et de sérénité. L’amour est une dépression heureuse, une conjugaison médicamenteuse du verbe aimer, sans ordonnance ; avec prudence, en ta présence, j’en inhale le piment et la douceur.

Il n’y a pas de femme ni d’homme idéal, avec toi, juste la merveilleuse réussite d’une rencontre inspirée, reconduite et encouragée tout le temps de notre vie. Tu es la preuve par l’envie que deux droites parallèles peuvent un jour se croiser pour tricoter (fricoter) ensemble des jours savoureux.

Lilly Chou, tu es mon souffle bonheur.

Ménage à trois

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Vanity Fair n° 16 – octobre 2014

Julia et moi, nous nous sommes quittés ce matin un brin contrariés. Parfois l’on s’énerve l’un contre l’autre alors que nous nous avouons bien volontiers de pas pouvoir dormir l’un sans l’autre.

Ce soir quand je rentre, elle est déjà couchée ; elle a laissé un mot sur la table du salon : « Mon Chéri, je n’ai pas que toi dans ma vie… (Je le sais hélas !) Je t’aime au quotidien mais il va falloir que tu t’accroches si tu veux continuer à vivre avec moi et mon sale caractère. Mon corps te réclame, mais ton amour exclusif me contraint, la flamme qui brule entre nous deux me brule, m’étouffe. J’ai besoin de respiration. Tu n’es pas le seul homme de ma vie. Accepte-le, ne sois pas jaloux ! Sans te perdre j’ai aussi besoin de vivre avec la présence sublimée et innocente de mon grand-père à mes côtés. Il m’aide à rendre l’espoir toujours possible et le doute superficiel. Tout le monde l’admirait et l’aimait. Il était génial. Les femmes l’adoraient. Il ne fâchait ni ne froissait jamais personne, il traçait sa route, déterminé et nonchalant. Par sa simple présence il émerveillait le monde. Il avait la grâce et la distinction de ne jamais laisser paraître la charge de travail et des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Il était solaire et léger, un astre créatif et merveilleux. J’étais sa petite fille préférée – en tous cas, il avait le talent de me le laisser croire. Il m’irradiait de sa tendresse et de sa bienveillance sans jamais me considérer comme une enfant, ni comme une adulte d’ailleurs. Là s’exprimait toute sa science de l’humain. Sans lui, je ne serai pas là…»

Je me remémore l’anecdote génératrice de la carrière de Julia, un jour où elle était triste, son grand-père Achille l’invita à la suivre dans son bureau et l’installa à une table à dessin avec du papier et des crayons de couleur. « Pleure si tu veux, dessine si tu peux ! » D’une larme tombée de sa joue sur la feuille, elle fit une goutte-de-pluie-boucle-d’oreille à laquelle elle enjoignit un sourire. De ce dessin d’enfant, son grand-père fit l’emblème de sa maison de couture et lança un département de joaillerie qu’elle dirige aujourd’hui.

Je ne veux ni arrêter son rêve d’enfant ni interrompre la belle aventure familiale, je dois juste fermer mes oreilles quand elle me rabâche « Mon Grand-Père-Ceci, mon Grand-Père-Cela ».

Avant de la rejoindre dans notre lit, je lui écris à mon tour un petit mot qu’elle lira demain matin : « Chérie, j’aime beaucoup ton grand père, surtout quand tu adoptes son ancienne manie de prendre des ‘’bains d’air’’ et de te balader toute nue dans la maison. J’ai décidé de regarder la vie du bon côté. Avec toi ! »

Avec Carole Bouquet !

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Vanity Fair n° 15 – septembre 2014

A l’approche de l’hôtel Pandora j’oublie l’objet de la réunion à laquelle je suis convié. Surpris de me trouver au pied d’un immeuble parisien devant lequel je suis passé des centaines de fois avant sa rénovation sans m’apercevoir de sa magnificence potentielle, je ralentis le pas alors que mon poult s’accélère. Je suis intimidé par le luxe impressionnant du nouveau Palace et goutte déjà la flatterie hypocrite dans l’adresse de l’invitation lancée par notre patron pour cette journée de travail délocalisée. Pour me nourrir de l’endroit je voudrais m’asseoir dans la belle salle à manger et, pour me remplir d’aisance, prendre un petit déjeuner pantagruélique. Mais aucune consommation terrestre ne pourra jamais combler mon émerveillement intemporel.

Je suis les allées du devoir sobrement balisées par une signalétique ad hoc et un personnel emprunté qui m’accueille à notre conférence room avec déférence. Après quelques minutes je prétexte un rendez-vous téléphonique confidentiel et important pour sortir de la pièce. Les couloirs sont déserts, je cherche un lavabo et me dirige vers la batterie d’ascenseurs. Je suis seul dans la cabine. J’appuie à l’entresol, un étage au-dessus. Quand la porte s‘ouvre je tombe sur Carole Bouquet, je renonce à sortir, sourires :

– A quel étage souhaitez-vous allez ?

– Comme vous…

Soupir suspendu, déglutition ralentie… Je choisi le dernier étage et la regarde convaincu :

– Est-ce vraiment vous qui avez rédigé la conversation impossible avec Harold Pinter dans le Vanity Fair de septembre ?

Elle me répond affirmativement. Alors que je m’apprête à lui témoigner mon admiration pour l’intelligence de son texte dans sa manière élégante de nous donner envie d’aller la voir au théâtre, nous arrivons au restaurant-terrasse de l’hôtel où nous découvrons une vue sublime sur Paris. Un maître d’hôtel vient nous accueillir. Bien qu’il soit trop tôt pour déjeuner il nous propose une table où, très vite, nous savourons un 1er cru de Meursault.  Avant que nous soyons ivres nous prenons le temps de commander une deuxième bouteille. Dans ce lieu parfait une maladresse arrive ! Le bouchon échappe des mains du garçon, Carole B. et moi essayons de le rattraper, il roule sur la nappe, nous glissons pour le saisir et nous nous retrouvons sous la table. Le dur atterrissage de nos séants sur le sol est ponctué par un éclat de rire tonitruant de ma voisine d’infortune.

Nous sommes restés assis par terre finir nos verres et la conversation, ravis par notre nouveau point de vue sur Paris…